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Premières assises de la Mémoire Gay

Samedi 16 Mars 2002

 

Une initiative originale et très intéressante s’est tenue le 16 Mars à la bibliothèque municipale de Lyon : Les Premières Assises de la « mémoire gay ». Laissons de suite tomber la polémique qui pourrait naître de l’utilisation du nom « gay » puisse qu’assistait aussi à ce colloque Michèle Larrouy, de l’ARC, et de l’adjectif  « premières » : elles l’étaient certainement dans ce cadre très officiel, permis, rappelons le, par le changement de majorité municipale à Lyon.

La journée s’est articulée en trois moments forts, une matinée consacrée à la Mémoire en construction : avec Sylvain Cavaillès, auteur d’un catalogue sur Chapitre.com consacré à l’homosexualité ; Florence Tamagne qui a fait avec «Histoire de l’Homosexualité en Europe : Berlin-Londres-Paris 1919-1939» un impressionnant travail de recherche et de mise à disposition de toute un pan de notre histoire ; Philippe Artières, historien membre de Sida-mémoire, (on sait combien le sida a été dès les années 85 un destructeur et comment certains se sont battus pour préserver les traces de ceux qui disparaissaient) ; Didier Eribon venu apporter une caution morale à l’organisateur, Michel Chomarat, qui, aidé de Sylvie Beauchière, a une démarche de conservation patrimoniale de la mémoire gaie au sein de la BM de Lyon, tout à fait originale.

Il serait plus logique de parler de Puits perdu de la mémoire lesbigaie, tant l’absence recherches sérieuses en France sur le qui-quoi-quand-où ? est criante. Nous situons à peu près le puits, nous savons qu’il y a de l’eau au fond, mais nous n’avons pas les moyens d’en apprécier la profondeur ni d’en faire remonter à la surface la substantifique eau qui irriguerait notre soif de savoirs. Seuls quelques petits bâtons de sourciers viennent éclairer tel ou tel moment de notre passé ou de notre réflexion, et dans le cadre officiel et prestigieux de cette journée l’on a pu que déplorer l’absence de plus gros travaux, les gaies-studies de nos amis anglo-saxons.

A quoi bon direz-vous ? (Et tel a été le sens d’une des questions de la salle). A quoi peut me servir à moi, gay ou lesbienne, de connaître l’histoire des autres, pourquoi cette histoire de personnes qui ne sont ni de ma famille, ni de mon clan, ni de mon temps, et plus de mon lit, ferait-elle parti de mon patrimoine ?

C’est une question très intéressante à beaucoup de points de vue : d’abord, elle ne se poserait pas si l’on avait fait un colloque sur un autre sujet. Au delà du simple fait de la volonté de savoir et de la culture nécessaire à toute civilisation humaine, elle met le doigt là où on nous a souvent fait mal  : la notion même de Patrimoine.

La « société bourgeoise » n’a jamais empêché les hommes de baiser entre eux, les édicules publiques si fréquentés jusqu’à ces dernières années en est la preuve, mais elle a toujours violemment empêcher que les homosexuels et les lesbiennes remette en cause la transmission par le père des biens et du pouvoir. Le mot patrimoine n’a rien d’innocent : recevoir et transmettre dans un cadre patriarcal ce que ma classe sociale représente. Rappelons nous qu’au début du XIXième, la pire des peurs inspirées par l’homosexuel était celle de coucher ou de vivre ou de donner en « trans classe »- un patron avec un ouvrier par exemple-.

Cette peur, violente et répressive est encore très actuelle quand on évoque la déportation, car il ne suffira pas de prouver qu’il y a bien eu une déportation pour fait d’homosexualité pendant l’occupation, il faudra aussi convaincre les associations de déportés que nous, « jeunes » lesbiennes et homosexuels nous avons un droit légitime à pleurer ces morts de la guerre qui ne nous sont ni des parents, ni des amants, ni des mentors de la pensée.

La seconde partie de cette journée, Le refus de la mémoire était illustrée d’ailleurs par la projection du « paragraphe 175 », avec l’admirable travail de Jean le Bitoux sur le sujet.

L’après midi était consacrée aux lieux qui Archivent la mémoire. Ils sont encore tous, sauf le cas de Lyon, très amateurs, et souvent liés à la volonté fragile et mortelle d’une personnalité comme Patrick Cardon à Lille, qui possède le fond de livres et la connaissance sans doute la plus complète et la plus riche dans ce domaine.(*) Mais s’il prête volontiers ses documents, il est plus difficile d’accéder à la richesse prodigieuse de sa culture ; il y avait Michèle Larrouy, qui avec les Archives de la culture lesbienne, ont fait le choix d’être non mixtes, (à l’agacement sensible de Didier Eribon), mais ouvertes à toutes ; Jean Le Bitoux qui essaie depuis plusieurs années d’obtenir un financement publique pour l’ouverture d’un fonds à Paris, un fonds qui soit pérenne afin que nul ne se voit déborder par la masse de documents existants tel « Archive de Paris » qui a donné une vision apocalyptique de ses appartements encombrés de cageots. Il y avait moi, aussi, qui essaie de sauver de l’oubli l’importante production bibliographique homosexuelle en faisant un catalogue que vous retrouverez sur www. bouquinerie.net, axé aussi sur la Bretagne, et Michel Chaumarat, dépositaire du fonds gay à la BM de Lyon. Certaines se sont étonnées que ce fonds ne soit pas accessible à tous, rappelons qu’il s’agit là d’un fonds patrimonial, sensé être conservé ad eternam, et donc exclu par sa nature même du prêt publique. D’ailleurs l’accès aux documents à été le grand sujet du débat, car il ne suffît pas d’accumuler, encore faut-il pouvoir trier et les participants semblaient être d’accord pour travailler d’ors et déjà sur une mise en ligne et un référencement commun des documents, tels qu’y travaillent déjà certaines universités américaines.

 

Cette journée fut clôturée par un discours très volontariste du nouvel adjoint à la culture Patrice Béghain, qui a clairement laissé ouverte la porte à notre communauté afin qu’un centre d’archivage nationale puisse se monter à Lyon. Merci Monsieur le Maire de Lyon, mais le Maire de Paris ne va-t-il pas vous griller cet honneur ?

(*) Réponse de Patrick : Ma culture est disponible dans les 54 livres Question de genre/gkc et dans les programmes des 11 festival du même nom et que le seul centre de documentation existant actuellement est bien à Lille et ouvert au public depuis 2 ans avec la participation de nombreuses entreprises, associations et collectivités locales et nationales et européennes. Notre fonds est de plus de 2000 livres et documents.

 
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Photo Jacques Ars